Eric raconte les 175km de l’Ultra Marin Raid Golfe du Morbihan 2-3 juillet 2021

Eric raconte les 175km de l’Ultra Marin Raid Golfe du Morbihan 2-3 juillet 2021
L’entrainement

Je n’ai jamais autant préparé une course et aussi sérieusement. L’investissement fut total et j’ai pensé « ultra marin » depuis 4 mois, échaudé par l’échec d’il y a deux ans. Début de la préparation le Lundi 1er mars, soit 17 semaines avant la date initiale de la course, le 25 juin, 18 semaines après le report au 2 juillet. Je me fixe pour objectif un cycle de 2000km course comprise sur 4 mois. Au final, je ferai 2003km. Même si j’ai constamment ajusté au fil des semaines au gré des impératifs pour le travail, des réveils nocturnes avec les enfants et de mon état de forme, j’ai globalement suivi cette progression avec pour schéma directeur : 1 séance de renforcement, 1 séance avec 30’ de seuil, 1 séance de VMA avec le club, 1 séance d’endurance récup avec des lignes droites d’accélération, 2 séances longues entre 3 et 4h (avec 1h d’alternance marche (40 secondes) et course (4’20 secondes) sur les conseils de Christian). J’ai essayé de cibler un circuit monotone, comme l’a été la course, avec des terrains variés (chemin, sable, cailloux, sous-bois) et quelques montées. Sur la fin, j’ai introduit de la marche active qui m’a mis en confiance. J’ai fait du gainage deux fois par semaine ce qui m’a permis de ne ressentir aucune tension dans les hanches ni de fatigue à cet endroit habituellement douloureux pour moi sur les efforts longs. Grâce à une routine de mobilité articulaire et musculaire (écrasement/étirements) pratiquée à raison de 3 à 4 fois par semaine (35’ à chaque fois), je n’ai que très rarement ressenti de fatigue au début d’un entrainement pendant la préparation. 

Si la préparation met en confiance, elle ne constitue, à mon sens sur ce type d’épreuve, qu’une partie des facteurs de réussite. L’expérience de ce type d’effort et la capacité à mettre en place des barrières mentales pour prévenir toute spirale de l’abandon sont essentielles. 

Le départ [0-1km]

Ça y est, nous y voilà, SAS 1 moins de 24 heures. Contrairement à il y a deux ans, j’ai pu me reposer l’après-midi, et j’arrive peu avant le début des hostilités et je me place dans le premier paquet pour essayer d’accrocher les coureurs avec la même allure que moi dès le départ. Julie et Anouk et Paul et ma maman sont sur le côté, ils ont l’air de passer un bon moment en musique. La musique traditionnelle, le compte à rebours, le coup de klaxon à air comprimé et nous y voilà. C’est parti ! Beaucoup de spectateurs sur les 500 premiers mètres puis la foule s’estompe et nous voilà face à notre objectif. Quelques mots échangés par ci par là avec des coureurs, quelques arrêts techniques et le rythme s’installe. Je me cale sur 5’30’’/km et me fait dépasser par de nombreux coureurs en essayant de ne pas me laisser perturber dans mon rythme.

Je me rendrais compte assez tard que ma montre nouvellement acquise déconne totalement sur les indications de distance et de vitesse. En cause, le mode d’économie d’énergie ultratrack qui devait me permettre de bénéficier d’indication GPS pendant toute la durée de la course, mais qui nécessite pour gagner en fiabilité plusieurs entrainements d’étalonnage… Seulement 30’ pour ma part, ça m’apprendra à lire la notice. Ça aurait dû me filer un coup au moral mais j’en ai fait un jeu en essayant d’identifiant la logique d’erreur pour anticiper au mieux les ravitaillements sur la base d’indications fausses. Mais j’ai mis du temps à m’en rendre compte, et c’est peut-être mieux ainsi, j’ai ralenti mon allure en me basant sur ces indications et peut être que ça m’a au final permis d’aller au bout.

La première partie de course [1km-38km]

Arrivé au premier ravitaillement d’Arradon (13,7km) en 1h13’ en étant très régulier, 1’ d’arrêt pour remplir une flasque, je suis pile dans mes allures, le début de course ne doit être qu’une stricte répétition des sorties longues de l’entrainement. Deuxième tronçon jusqu’à Baden Port Blanc (28,7 km) sur le même rythme 2h37’ de course), une pause à peine plus longue (5’), une compote, un bout de banane, 2 carrés de chocolats 2 verres de Saint-Yorre et on remplit les flasques. Ce tronçon était plus technique, plage, sentier de douaniers, marches d’escaliers, barrières à franchir, … Tout ce qui fait le charme et la difficulté du coin. Reparti du ravitaillement après 2h41 pour 24km, de pense arriver à Crach à 00h00 environ, soit après 5h de course, jusqu’ici, tout est maitrisé, je contrôle mon alimentation en course et mon hydratation sans difficulté. Sur le chemin, j’ai croisé Stéphane R. que j’avais rencontré sur Strava et avec qui on avait échangé sur la préparation. Il partait dans le SAS 2, je savais qu’il me rattraperait car il avait prévu du partir plus vite, nous faisons un bout de chemin ensemble et chacun s’installe ensuite dans son rythme. Je rencontre aussi Frédéric le C., très sympathique, avec qui on échange sur l’entrainement, il a suivi, sur Strava, ma préparation dont il loue la rigueur. Cela me donne un bonus de confiance en moi, à ce moment là je me sens très léger. On fait partage quelques kilomètres ensemble, je le retrouverai avec plaisir à plusieurs reprises sur le parcours. C’est aussi ça l’ultra, 1000 anonymes sur le même chemin, mais on passe finalement notre course avec une vingtaine de coureurs dont les places s’interchangent au fil de la course, au gré des coups de bien ou de moins bien des uns et des autres. Sur le chemin j’ai aussi croisé Lolo (Loreline) qui a couru chez ACF et bosse dans l’évènementiel sportif et a travaillé pour l’organisation de cet évènement. Elle déborde d’enthousiasme ça donne un coup de boost !

La nuit partie 1 [38km-83km]

Sur le chemin de Crach, nous sommes arrêtés pour contrôler le contenu de notre sac, l’affaire de 3’ qui peuvent nous sortir de la course et de notre rythme, j’ai décidé de ne pas me laisser atteindre par le moindre imprévu, j’en profite pour sortir ma lampe frontale, il commence à faire bien sombre. Et la nuit commence, je sais que je dois mettre mon cerveau en pause le temps de 7h. Je pense à Paul et Anouk qui dorment paisiblement dans leur lit, ils ont bien de la chance, d’autant que la nuit s’annonce pluvieuse.

Arrivé à Crach après 5h06’ de course, je reproduis le ravitaillement précédent en prenant plus de temps (9’), compote, chocolat, banane, je rajoute un bout de fromage et tente une expérience de soupe lyophilisée, trois gorgées mais le goût ne me plait pas. 

Et pluvieuse la nuit a été, comme annoncé, de petites giboulées vers 1h du matin puis une pluie continue et soutenue entre 2h et 4h30. Sur ce tronçon, j’ai essayé de mettre mon ipod en marche, hésitant entre podcats ou musique je n’ai pas eu à choisir, l’appareil s’était allumé dans ma poche depuis le départ et je n’avais déjà presque plus de batterie. Tant pis, je ne me laisse pas démonter, il va falloir que j’accepte que la seule voix que je vais entendre pendant les 15 prochaines heures sera la mienne (bon courage). Je fais quelques kilomètres avec un coureur rattrapé mais la nuit se passe globalement seul, il faut se concentrer sur les balises qui indiquent le parcours, elles ne sont pas toujours visibles. Je cours toujours et j’arrive à Crach (67,9km) après 6h52 de course (j’avais prévu 7h avec les ravitaillements), tout se passe comme prévu. Je ne m’attarde pas (5’) et je repars, il pleut et je veux être au bateau pour 3h30 du matin. Je sais ce dernier tronçon monotone, alternant chemin et route, il ne faut pas se griller dessus. Je passe beaucoup de temps à me convaincre que le bateau ne signifie pas la mi-course pour ne pas crier victoire trop vite. Je me suis découpé la course en 3, de 0 à 87,5km (base de vie d’Arzon), de 87,5km à 134 km puis la fin. S’il y a bien un truc que j’ai compris, c’est qu’on ne finit pas à un ultra à 60% ou 80%, c’est binaire, 0, ou 1. Moi qui passe mon temps à dire sur la piste « on a fait la moitié, on a fait les trois quarts, il reste 40%,… », je bannis de mes pensées tout cela. La pluie est battante mais je suis bien. Je repense à mon échec d’il y a deux ans, je me dis qu’au même endroit je me plaignais de la chaleur. J’en conclus alors que la météo ne peut pas me servir d’excuse, une course quelle qu’elle soit s’inscrit dans un contexte, notamment météorologique, et c’est à nous de nous adapter. La météo est la même pour tout le monde.

Sur les 5 derniers kilomètres jusqu’au bateau, je décide d’alterner marche et course. Le tronçon de 5km après le bateau pour rejoindre la base de vie d’Arzon est dur, il faut garder des forces. J’ai travaillé cette alternance marche (40 ») course (4’20 ») à l’entrainement, je suis très à l’aise avec cet effort. Contrairement à ma course d’il y a deux ans, je ne considère plus du tout le fait de marcher comme un échec, la solution de dernier recours, mais une manière économe d’avancer pour gérer au mieux son effort. Et au final je ne perds que peu de temps. Il était moins une pour arriver au bateau, la batterie de ma lampe frontale arrive sur la réserve.

La nuit partie 2 [83km-98km]

Il est 3h33 du matin, 8h33 de course, je suis à Locmariaquer pile dans le temps souhaité. Le gilet de sauvetage et le poncho enfilés je « saute » dans le bateau. La pluie est forte, l’air très frais, ça secoue un peu, il y a bien 3-4cm d’eau au fond du bateau, on est trempés. Je ne suis pas sûr de ne pas avoir piqué un petit somme pendant la traversée. 23’ plus tard nous voici à Port Navalo et il pleut toujours des cordes. 5km nous séparent de la base de vie d’Arzon et je me suis fixé 45’ pour les faire. L’expérience d’il y a deux ans me permet de gérer la descente du bateau. Inutile d’essayer de courir tout de suite, la position assise prolongée dans le froid a raidi considérablement nos jambes. Je démarre avec une marche active puis je me mets à trottiner pour accrocher deux coureurs qui m’annoncent que nous sommes dans les 15 premiers. C’est parti vite. Finalement je mets 35’ pour rejoindre la base de vie, inespéré aux vues des conditions, je me sens très en forme.

Sur la base de vie, je retrouve Frédéric avec qui nous partageons le repas ainsi que Sébastien avec qui je fais connaissance. Tout le monde a l’air en forme, le ton est léger, ça permet de s’évader un peu de de la course. Frédéric m’annonce que sur son bateau, un coureur est tombé à l’eau en sortant du zodiac, sans gravité, mais je me dis que ma situation pourrait être bien pire. Je me fixe comme objectif 45’ de pause. L’alimentation hors ravitaillement devient plus délicate alors je me lâche sur le repas (fromage, pain, pâtes, compotes, gâteaux, …). Je regarde mon téléphone et m’aperçois que j’i reçu de nombreux encouragements mais je ne les lis pas, j’ai peur que cela me donne trop d’enthousiasme et de m’emballer. 

Je ne suis pas fatigué mais je me souviens qu’il y a deux ans, j’avais dû dormir alors je prends un café (mon café annuel) pour me permettre de terminer la nuit sans penser à dormir. Je change de T-shirt et de chaussettes mais je suis toujours trempé sans avoir froid. J’enfile un buff et des manchons par précaution. Je recharge mes barres et change la batterie de ma lampe. Sur le point de repartir, je croise Vincent Berthevas (!), un ancien ACF) qui vient de terminer son relais de 35km, il est frais comme un gardon. Que le monde est petit. Je repars après 40’-45’ bien restauré. Le plus dur reste à venir. 

J’ai en mémoire le prochain tronçon de la course qui m’avait conduit à l’abandon il y a deux ans. J’ai le souvenir d’un sentier usant et technique entre racines et escaliers. Cette année, je le partage avec Frédéric (nous trouvons tout de même le moyen de nous paumer sur un petit kilomètre par manque de balisage), il me semble facile. Je joue avec les racines, je gère les marches et les relances. La difficulté d’un sentier n’est parfois qu’une affaire de perception, le seul point important est l’état de forme du moment.

J’avance à l’allure prévue et, 11km et 1h20 plus loin, me voilà à Port Nèze, ce tronçon m’a paru simple, je ne pense même pas à abandonner. Tout est si différent d’il y a deux ans. 

L’inconnu partie 1 [98km-132km]

Deux verres de Saint Yorre et ça repart ! Me voilà dans l’inconnu, je ne connais cette partie du parcours qu’au travers des récits de Jean Michel, des vidéos de la course que j’ai pu voir. Je partage le tronçon suivant avec 2 autres coureurs avec lesquels nous ne faisons que nous dépasser et nous redépasser. J’alterne marche et course et course en continu, tout va très bien, je n’ai pas l’impression de subir l’effort et je gère très raisonnablement la vitesse de progression qui ralentit. 21,5km me séparent de Sarzeau, je me fixe 2h15-30’ pour y parvenir et c’est chose faite en 2h30 tout pile. Dans mon esprit, c’était le dernier gros tronçon, les ravitaillements et points eau devraient être plus fréquents désormais. Désormais, Paul et Anouk doivent être levé, je sais que je vais bientôt les revoir. Je n’avais que peu consulté mon téléphone, c’est chose faite, je ne lis pas tout mais j’appelle Julie pour lui dire que tout va bien. Je lis les messages de Christian et cela me rassure sur la gestion de l’effort jusqu’ici et ce qu’il reste à venir. Frédéric est là, il n’est pas au mieux, il a perdu beaucoup de temps sur une autre erreur de parcours. Je me fixe pour objectif de courir le tronçon suivant, chose que je fais. Je m’attends à arriver à Séné mais le ravitaillement ne vient pas, Frédéric me redépasse et me dis qu’il faut atteindre Séné. A cause de cet imprévu, je laisse les mauvaises pensées me gagner et je me mets à marcher alors que tout allait bien. Là se trouve toute la sournoiserie de l’ultra à mon sens. La course cherche toujours une porte d’entrée dans le cerveau pour y faire germer une mauvaise graine. Erreur de parcours, petits bobos, météo, aléa de course, … autant de prétextes pour se détourner de son seul but et enclencher des spirales de l’abandon. Toute la difficulté est de les identifier en amont pour retirer le doigt de l’engrenage. 

L’inconnu partie 2 [132km-147km]

Je marche près de 2,5km pour arriver au ravitaillement très remonté. Heureusement, un bénévole sent bien que je suis en dedans et me rassure, simplement, exactement ce dont j’avais besoin pour dissiper partiellement les ondes négatives et inverser la tendance. A posteriori, il aurait été si simple de briser cette spirale en disant que si ce ravitaillement était plus loin que prévu, le suivant serait du coup plus proche (et ce fut le cas…). Il y a toujours des moyens de briser des spirales de pensées négatives, il suffit « simplement » de les prendre tôt et de tourner un inconvénient en avantage. Je sais maintenant que Julie, ma maman Paul et Anouk vont venir me voir sur le parcours. Je marche et je cours mais les jambes sont raides. J’ai des débuts d’ampoules sous la voute plantaire, les chaussures tapent sur le bitume, je suis obligé de m’arrêter plusieurs fois pour desserrer ma chaussure droite car je sens une pression douloureuse sur le haut du pied quand je cours, le genou tire parfois. Ces douleurs physiques sont normales et je me répète constamment à voix haute, que j’ai quatre bonnes raisons d’arriver au bout et qu’il ne peut en être autrement. Il est hors de question que je ne fasse pas l’arrivée avec Paul, que ce soit pour abandon ou parce que mon heure d’arrivée n’est pas décente. Je sais cette dernière partie du parcours pénible avec des portions de route importantes et monotones. Je mets deux heures pour faire les 14km jusqu’à Sarzeau en ayant croisé sur la route toute la petite famille en voiture, ça me motive pour trottiner un peu. Les bénévoles laissent tout ce petit monde se joindre à moi à table. Si Paul n’a pas l’air de bien réaliser ce que m’aider à finir me veut dire, mis à part qu’il veut une médaille (qu’il n’y aura pas à l’arrivée mais peu importe), il réalise bien ce que « m’aider » à finir mon plateau repas veut dire. Tout l’attire, raisin sec, pâtes, compotes, je dois défendre crânement mon repas face à un tel appétit ! 30 ‘ d’arrêt et il reste 28km. 

    

Le début de la fin [147km-162km]

Une bénévole me dit que le point d’eau à 14km est repoussé à 21km ça va être long d’autant que le soleil tape. En fait je ne trouverai jamais ce point d’eau. Je repars en marchant vite puis je cours près de 45’ non-stop, une heure de passée et 8km avalés, je suis en pleine confiance. Sur le trajet je recroise ma maman, Paul, Julie et Anouk qui jouent au bord de l’eau, Paul s’amuse comme un petit fou, cela me redonne l’envie d’en finir pour profiter de ces moments avec eux. Je me dis qu’une fois cette histoire terminée, j’aurai besoin de mettre moins de course dans ma vie durant un temps. Une course comme celle-ci, la préparation qui la précède, déplacent inexorablement le centre de gravité de la famille et il faudra le corriger. Passé ce moment d’euphorie, tout devient plus dur, je gère ma quantité d’eau, je n’ai plus faim de barres depuis longtemps, heureusement que j’ai embarqué une compote et deux gâteaux au dernier ravitaillement et que cela me fait encore envie. Je marche, de moins en moins vite. Après 2h15, j’ai parcouru la moitié (14,5km), je n’ai plus d’autre objectif de temps que d’arriver pour que tout le monde puisse être là. Ma vitesse décroit et je marche péniblement 1,5km. Je regarde alors ma vitesse de progression qui tombe sous les 3km/h… Je calcule rapidement qu’à ce rythme j’arriverai tout seul à Vannes. Je prends alors la décision de m’allonger à l’ombre sur le bord du chemin pour une micro sieste. Je tente le tout pour le tout. A peine allongé, je me sens partir. Heureusement, le buisson qui me fait de l’ombre attire tout un tas de moustiques (brillante idée…) dont le bruit me réveille à intervalles irréguliers. 

La dernière « ligne droite » [162km-174km]

14’ plus tard, 2 coureurs (dont Sébastien) me dépassent en alternant marche et course et Sébastien me lance « C’est pas maintenant la sieste ! ». Et il a raison, j’ai une famille à retrouver. Je me remets en marche, rapide, puis je décide que je ne marcherai plus, je dois courir les 12 derniers km. Les jambes sont ultra raides. Mais je me répète constamment qu’il n’y a rien d’irréversible. Je fais 10 petits pas en trottinant, impossible de courir, puis je marche rapidement sur 10, puis je retente la course, les jambes sont moins raides, puis je remarche quelques pas et je recours. La machine est relancée, je ne marcherai plus jusqu’à l’arrivée. Mentalement, j’ai assimilé mes jambes à une batterie à plat. Impossible de rouler sans qu’elle démarre mais dès qu’on a forcé le démarrage avec des câbles, on peut rouler tant qu’on ne s’arrête pas. Je ne m’arrête tellement pas que je rate le point d’eau, et il me reste seulement 1/3 de flasque et la bouche commence à être sèche. Je croise Sébastien et Philippe qui m’annoncent que je l’ai loupé, sans doute par manque de lucidité. Je tourne cela positivement en me disant que de toute manière, les jambes sont lancées et qu’il ne fallait pas s’arrêter au risque de ne pas repartir. Avec ce rythme de progression je sais que j’arriverai à l’heure ! Et je trottine et je trottine, les jambes sont raides mais ça tient. Je gère mon peu d’eau, je sens que ça va passer. J’envoie un texto à ma mère tous les km, 10, 9, 8, 7, 6…3, 2,…

La foule des émotions [174km-175km]

Je sais que quand je passe le chantier naval au bout du port de Vannes, il me reste un gros kilomètre. Ca y est, j’y suis ! Je cours comme un âne, mon allure ne doit pas ressemble à grand-chose mais peu importe. Les premiers encouragements des promeneurs le long du quai me font chaud au cœur, je vois désormais l’arrivée, je ravale plusieurs montées d’émotions, désormais j’y suis, dernier demi-tour pour rejoindre la dernière ligne droite, Je vois Paul qui déboule sur le tapis rouge en rigolant pour venir me retrouver, nous terminons main dans la main. C’est fait ! je retrouve Julie, ma maman et Anouk dans sa poussette. Quelques photos et je me dirigent chercher le lot finisher, un gilet sans manche qui attire beaucoup Paul, un peu déçu de ne pas avoir de médaille mais qui se consolera avec le repas d’arrivée en dégustant des gâteaux et en s’amusant de « la bouteille d’eau qui pique ».

     

 

Une bonne douche pour constater les dégâts de la course sur le corps, irritations et brûlures superficielles un petit peu partout, début d’ampoules. Deux dolipranes pour masquer les douleurs musculaires, deux galettes englouties à la crêperie en luttant pour maintenir les yeux ouverts. 21h au dodo, 4h30 réveillé avec les idées qui fusent, recommencera, recommencera pas ? J’entends alors la pluie battante au dehors, il reste près de 200 coureurs à arriver sur les 500 parmi les 800 partants qui rallieront la ligne d’arrivée. J’ai une pensée pour eux, finalement j’ai eu une course facile. 

 

Notes pour un hypothétique moi-même qui voudrait recommencer dans le futur

  • Ne jamais laisser les pensées négatives nous gagner, quelques soit la raison pour laquelle elles surviennent.
  • Les ressources insoupçonnées du corps, il n’y a rien d’irréversible, on peut toujours recourir. La vitesse de progression de la dernière heure ne prédit pas celle de la suivante.
  • On ne peut aller au bout que si on a une bonne raison. Cette raison est l’ultime refuge, le joker qui permet de battre n’importe quelle carte défavorable que la course abattrait pour nous faire déjouer.  
  • Le rôle de l’expérience pour gérer les impondérables, anticiper les réactions de son corps et ne pas être dans l’expérimentation constante. 
  • Si l’effort est individuel, la réussite est collective. Je ne serai jamais parvenu au bout sans le soutien de tous (même si je n’ai pas lu les messages sur le moment, savoir qu’ils existent suffit), les conseils et les points d’étape de Christian pour relativiser toute ce qui allait se passer, le suivi et les point de rencontre avec « mon équipe » (Julie, ma maman, Paul et Anouk). Un grand merci à tous !
Concernant la course

elle est très bien organisée, les bénévoles très gentils, les ravitaillements fluides, le passage en bateau très bien ficelé. Un petit bémol sur le balisage parfois manquant qui conduit à des erreurs d’aiguillage mais cela fait partie du trail. Concernant les paysages, très beaux sur la première partie du course, invisibles de nuit, jolis au petit matin même si on regarde de plus en plus ses pieds et de moins en moins devant. Avant les 21 derniers kilomètres plus sympa, une partie alterne le beau et le moins beau avec des portions de bitume conséquentes à l’intérieur des terres. Nombre de participants y reviennent plusieurs fois, il y un côté mythique à « faire le tour » de ce Golfe. Même si la météo n’était pas exceptionnelle, on peut toujours compter sur le soutien de riverains présents pour nous encourager et même aux heures les plus tardives de la nuit. 

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