I – Introduction
Contrairement à une idée reçue, l’organisme ne s’use que si on ne s’en sert pas… La pratique
sportive permet d’activer toutes ses fonctions et la restauration des tissus (cartilagineux,
osseux, nerveux). Elle permet l’entretien de l’appareil locomoteur :
– passif, c’est-à-dire le squelette (solidification, maintien de la masse osseuse, lutte contre la
décalcification…),
– actif, c’est-à-dire les muscles et le système tendineux.
Que se passe-t-il quand on arrête brutalement ?
Pas facile de répondre à cette question, car nous n’avons finalement aucun recul et ceci pour
deux raisons :
– les connaissances scientifiques portant sur les effets d’un arrêt brutal d’activité sont
principalement issues de modèles d’alitement prolongé, suite à des blessures après un
accident ou une grave pathologie. Ces études ne sont pas complètement transférables à la
période actuelle.
– je n’ai pas trouvé d’étude globale sur la manière dont les sportifs, adeptes du hors stade,
réagissent en de telles circonstances en fonction de leur âge, de leur morphologie et de leur
niveau de préparation.
Dès lors je propose de construire une réponse en différentiant quatre types de profils où je
perçois, d’expérience, des différences significatives :
– profil 1) Athlète parfaitement débutant (depuis 2 à 4 mois)
– profil 2) Entraînement modéré (2 séances par semaine), mais régulier depuis 1 à 2 ans
– profil 3) Entraînement sérieux (3 à 4 séances par semaine), depuis 3 ans
– profil 4) Compétiteur, entraînement d’intensité élevée et de qualité depuis plus de 6 ans
II – Que se passe-t-il en cas d’arrêt brutal d’activité ?
En simplifiant, nous pouvons décrire 4 étapes générales (référence : guide d’accompagnement
des sportifs de haut niveau – édition du 15 mai 2020 de l’INSEP et l’ANS)
En premier lieu :
- une perte de masse musculaire pour les muscles, posturaux ou non : cette perte
précoce (15 jours suffisent pour un effet très significatif) concernent les fibres
musculaires de type I, mais est davantage marquée pour les fibres de type 2 (Vikne et
al. 2020). - une diminution de la raideur tendineuse et donc une altération de la capacité à stocker
et restituer l’énergie (sauts, changements de direction, réceptions ; Magnusson &
Kjaer 2019)
Puis une désorganisation des tissus musculaires (raccourcissement des fibres, voire des
dommages musculaires, liée à une baisse de la force et de la puissance musculaires) et des
tissus tendineux (réduction de la synthèse de collagène, principal constituant du tendon).
Enfin, une altération du système nerveux (diminution de l’activation).
Je compléterai ce constat avec plusieurs remarques :
- Les études prouvent qu’en réalité, et c’est plutôt rassurant, les dommages au niveau
musculaire sont relativement faibles au bout d’un mois. Par contre, au bout de 2 et à
fortiori 3 mois, les dégâts sont bien plus sérieux. - Tout dépend du profil de départ. En simplifiant là encore, on pourrait considérer qu’un
athlète entrainé perd une partie des gains physiques et physiologiques de son
entrainement alors qu’un athlète peu ou pas entrainé fragilise ses ressources physiques
de base, ce qui est plus ennuyeux. - Le niveau de dégradation dépend parallèlement du temps d’activité journalier lié à son
mode de vie (marche, montée d’escalier, déplacements quotidiens, utilisation du vélo
pour faire ses courses, mouvements usuels, etc.). Il est bien évident qu’un mode vie,
indépendant du sport, mais non sédentaire limite la dégradation constatée.
III – Pourquoi différencier les profils pour répondre à la question des conséquences du
confinement ?
Parce que l’impact est différent.
Rappelons déjà la différence fondamentale entre les profils 1, 2, 3 & 4 en étudiant le
processus de transformation d’un sportif au fil des années.
Naturellement, ce schéma est réducteur d’une réalité complexe et dynamique, car tous les
paramètres physiques et physiologiques évoluent ensemble et interagissent. En outre, nous
sommes tous différents et les transformations que nous subissons le sont également. D’abord,
parce que nos objectifs et nos motivations sportives ne sont pas les mêmes. Ensuite, parce que
le nombre de séances de sport par semaine, l’intensité et la régularité jouent aussi leur rôle. Et
enfin, parce que nos métabolismes sont différents.
Reste qu’en tant qu’entraineur, j’ai constaté que les grandes étapes décrites structurent la
progression d’un athlète.
Prenons deux exemples :
– au bout de 6 mois, un athlète acquière déjà de belles sensations au niveau musculaire, mais il
reste fragile au niveau ligament tendineux et peut se blesser s’il n’en tient pas compte.
– presque tout le monde peut effectuer un marathon au bout de 6 mois. Néanmoins, c’est en
particulier l’optimisation du système vasculaire qui nous rend performent sur cette distance,
globalement au bout de 3 ans.
Venons-en maintenant aux réponses à la question initiale.
IV – Comment un athlète débutant pourrait gérer sportivement un mois de
confinement ?
Athlète de profil 1
Un athlète débutant a réussi à stimuler ses capacités respiratoires et à mobiliser ses muscles en
générant ainsi une dépense énergétique supérieure à son métabolisme de base *.
L’enjeu ici est d’entretenir cette capacité minimum acquise. Sachant qu’un arrêt d’un mois
annulera totalement le bénéfice acquis par ses premières semaines d’entrainement.
Vous trouvez ci-dessous les recommandations générales en termes d’activité physique pour
les athlètes amateurs, selon Cyril Besson, scientifique du sport, Centre de Médecine du sport,
CHUV.
Il recommande l’équivalent de 4h de sport par semaine, toute activité physique confondue.
La dose minimale est de 2h30. Si l’effort est intense (par ex., fractionnés, etc.), les minutes
comptent double. Chaque période de 8h assise devrait en outre être compensée par 1h
d’activité physique modérée. Il faudrait ainsi faire au moins 7h30 d’activité physique modérée
par semaine (2h30 + 5h de compensation de la position assise).
Il propose en maintien:
- 1 séance de cardio plaisir, sans regarder votre montre, dans votre discipline actuelle
(par ex. une longue marche, le footing, quelques bosses ou un col en vélo, etc.) - 1 séance de cardio tous les 7 à 10 jours. Une séance de 45 minutes à 1h comprend des
intervalles dont l’addition fait au moins 6 minutes d’effort à haute intensité. La
difficulté est toutefois à adapter à sa situation personnelle.
Un exemple d’entraînement par intervalles:
– un échauffement de 10 à 15 minutes progressives
– 8 minutes où sont enchaînées : 30 secondes d’activité intense, 30 secondes faciles
– 4 minutes faciles
– 8 minutes où sont enchaînées : 30 secondes d’activité intense, 30 secondes faciles
– Retour au calme : 5 minutes en restant tranquille.
- 2 séances d’entraînement de renforcement général de l’équilibre et de la coordination.
Cela équivaut à 6 à 10 exercices d'une durée totale d'environ 45 minutes, dont une
séance comportant du stretching.
* Le métabolisme de base correspond à la dépense énergétique (à la quantité d’énergie) essentielle et
incompressible dont l’organisme a besoin pour fonctionner au repos chaque jour.
V – Comment un athlète s’entrainant depuis 1 à 2 ans pourrait gérer sportivement un
mois de confinement ?
Athlète de profil 2
1) Nombre d’entraînements par semaine, au minimum ?
Réponse : 2 entraînements d’athlétisme et 1 entraînement de nature différente (entraînement
croisé).
Premier entraînement : endurance fondamentale (en aisance respiratoire).
Cet entraînement stimule les fibres lentes et le métabolisme des acides gras.
Sur quelle durée ? Entre 30 et 60 minutes (ce qui correspond à la limite du confinement et à
un kilomètre autour de votre domicile, à pratiquer seul).
Deuxième entraînement : changement de rythmes.
Le principe est de changer d’allure.
Pourquoi ?
Je vous rappelle qu’il s’agit d’un travail qualitatif qui permet de travailler à des vitesses
élevées pendant une longue période de temps. L’entraînement fractionné permet d’enchaîner
ces vitesses élevées pendant beaucoup plus longtemps qu’avec la course en continu et donc de
progresser.
Au choix :
- Séances classiques, si c’est possible
Si possible, alterner d’une semaine sur l’autre deux types de séance en fractionnement :
– fractionner sur des distances parcourues en moins d’une minute (entre 50m à 200m)
– fractionner sur des distances parcourues en plus d’une minute (entre 300m et 3000m)
Pourquoi ?
– Les séries de moins d’une minute stimulent activement le métabolisme anaérobie lactique.
– Les séries de plus d’une minute activent le métabolisme aérobie. - Entrainements en Live comme celui proposé par Jérôme (ACF).
Troisième entraînement : un entraînement croisé.
– vélo elliptique
– marche dynamique en escalier (travail de cadence)
– VTT
– natation, etc.
Pour quels avantages ?
L’entraînement croisé permet de conserver, voire d’améliorer une bonne condition physique
générale en diversifiant le travail musculaire et ligament-tendineux, tout en limitant les chocs
inhérents à la pratique de la course à pied.
Remarque :
1) Ne pas négliger (quand on s’entraine seul) la préparation physique générale.
Quel est l’intérêt ?
– compléter son échauffement avant une séance de fractionné,
– effectuer un travail de renforcement musculaire et de coordination (haut et bas du corps) qui
protège le squelette.
2) Exercices à effectuer à la maison
– des exercices de décompression des cervicales et des vertèbres,
– des exercices d’abdominaux,
– des exercices de gainage (sur les 4 faces),
– des pompes.
3) Travail d’étirements et de souplesse
VI – Comment un athlète s’entrainant sérieusement et assez intensivement depuis plus
de 3 ans pourrait gérer sportivement un mois de confinement ?
Athlète de profil 3
Deux remarques concernant les athlètes de cette catégorie.
1) A l’issue d’un petit sondage effectué après la première période de confinement, j’avais
constaté qu’autant les athlètes de profil 1 et 2 avaient été très impactés par la première période
de confinement, autant les athlètes de profil 3 et 4 se sont débrouillés pour maintenir, d’une
manière ou d’une autre, un niveau minimum d’entrainement.
2) L’erreur classique des athlètes de cette catégorie, c’est de s’entrainer coûte que coûte pour
dépenser absolument leur énergie, mais de manière irrationnelle, par exemple :
– en appliquant des conseils irresponsables (risques de blessures) qui circulent sur internet :
effectuer 10 km sur son balcon, se lancer de manière déraisonnable dans le stretching, etc.
– en faisant du volume pour compenser l’arrêt des séances qualitatives dans un entrainement
hebdomadaire de club.
Cette seconde erreur est d’autant plus absurde que si un athlète de profil 1 perd tout le
bénéfice de son engagement sportif après un mois d’inaction, ce n’est absolument pas le cas
pour les athlètes de profils 3 et 4 qui ont profondément transformé leurs corps pour l’adapter à
leur pratique.
Repartons des caractéristiques des athlètes de profil 3.
Ils ont optimisé ce qu’on appelle les principales qualités physiques de la course à pied.
D’abord,
– La vitesse : pure (anaérobie) et la VMA.
– L’endurance : la possibilité de réaliser un effort continu de manière durable.
Puis,
– La posture : l’alignement segmentaire, la verticalité, la synchronisation bras-jambes, les
appuis, etc.
– La force : la tension des groupes musculaires pouvant s’opposer à la résistance au sol.
– La souplesse : qualité physique permettant de réaliser des mouvements avec amplitude et
mobilité articulaire.
Et enfin :
– La résistance : capacité à réaliser un travail musculaire très important pendant une période
de temps courte.
– La coordination et la technique : capacité à enchaîner les mouvements pour réaliser un geste
précis.
C’est très bien, mais est-ce suffisant ?
Le paradoxe est que plus on progresse en athlétisme, plus on se rend compte de ses atouts, de
ses limites et de ses défauts.
Alors, durant le mois de confinement, autant améliorer ce qui ne va pas. Par exemple :
– votre foulée a gagné en profondeur, mais au détriment de sa fréquence et de sa dimension
aérienne. Aussi, lors de séances adaptées, élevez votre centre de gravité et améliorez votre
fréquence pour vous rapprocher des 180 pas à la minute.
– vous sentez un plafonnement de vos capacités, alors engagez-vous sur des parcours de cross
pour stimuler les fibres rapides, via les relances, mais aussi développer la VMA par des
intervalles moyens et longs, la puissance musculaire via des côtes et le seuil aérobie.
VII – Comment les athlètes de haut niveau et les compétiteurs peuvent gérer
sportivement un mois de confinement ?
Athlète de profil 4
1) Le mental
Nous avons vu avec les aspects physiques (la force, la puissance, l’endurance, la vitesse, etc.)
et les aspects techniques (posture, coordination, etc.) deux piliers de la performance que
développent à des degrés divers les profils 1, 2 et 3.
Le profil 4 développe un troisième pilier : l’aspect mental.
Les objectifs d’une préparation mentale sont les suivants : (source : Quentin Coursier :
psychologue du sport – IRBMS – le 12/01/2017)
– « Donner et travailler les outils pour s’améliorer mentalement : ces outils permettent
l’optimisation des performances.
– Définir, valider et atteindre vos objectifs : il n’y a pas de réussite sans progrès, pas de
progrès sans confiance. Il n’y a pas d’objectif sans chemin.
– Apprendre à gérer ses émotions : évacuer le stress et prendre du plaisir dans la pratique
sportive ».
Le danger du confinement et de l’annulation des compétitions est de perturber sérieusement le
mental des compétiteurs. Ainsi, le sentiment de frustration peut engendrer un relâchement
mental et une désorganisation dans sa programmation des entrainements en se disant : « A
quoi bon se programmer une série de séances sans savoir à quoi cela va aboutir ? ».
Comme je l’avais écrit dans la contribution sur le thème : « Comment gérer le report ou
l’annulation des compétitions », une planification d’entrainement vers un objectif de
compétition nécessite un climat de sérénité en évitant la perturbation de facteurs externes.
2) Question de distance
Si les règles de confinement et de distanciation sociale en France permettent de sortir une
heure par jour en restant à 1km de chez soi et que les conditions d’entraînement sont
favorables, cela permet de se préparer pour des compétitions de demi-fond ou courtes, jusqu’à
10 km.
C’est complètement différent pour les trails ou le long. Il n'y a pas de difficulté majeure pour
les séances peu intenses, mais l’absence de l’émulation du groupe se fera sentir pour les
séances plus dures effectuées habituellement sur piste. Il est évident que les « dés-
entraînement » actuel sur piste aura un impact (certes limité et réversible) sur la condition
générale des athlètes.
3) Que faire ?
Repenser l’avenir
Etablir un audit de la situation. Cela signifie qu’il faut tenir compte :
– de la période du confinement et de la période d’incertitude qui va suivre jusqu’à février/mars
2021.
– des contraintes imposées par ces nouvelles circonstances : stades fermés, limite de temps
d’entrainement, contraintes de toute nature comme les mesures barrière, l’impossibilité de
courir en groupe, etc.
– des contraintes saisonnières (météo difficile, difficulté de s’entraîner le soir en ville ou dans
les bois, si les stades sont fermés).
– Evaluer ses propres ressources, son niveau d’entrainement, sa motivation.
En concertation avec l’entraineur, c’est l’ensemble des choix stratégiques dans la préparation
sportive que l’athlète passe au crible de son analyse critique et prospective.
Se fixer de nouveaux objectifs compatibles avec ce contexte incertain
Le choix des objectifs ne peut se faire uniquement sur des critères d’envie ou de motivation
personnelle, comme habituellement. Si votre inclinaison vous porte par exemple sur des
épreuves longues et que vous n’avez pas le kilométrage nécessaire, il faut alors être
raisonnable et prévoir cela dans 6 mois (si nous sortons enfin du confinement), car la période
de l’hiver et les contraintes externes actuelles sont incompatibles avec la préparation vers ce
type d’objectifs.
Se fixer des objectifs plus modestes
Chercher des épreuves qui entrent dans vos cordes et qui sont compatibles avec les contraintes
actuelles extra sportives :
– choix d’une course au profil favorable à la réalisation d’une performance,
– participation à une épreuve à proximité de votre domicile,
– que cette épreuve comporte moins de facteurs d’annulation (grand nombre de participants,
difficulté d’appliquer les mesures de confinement, etc.)
– considérer ces épreuves comme des compétitions intermédiaires qui vous serviront de points
de repères avant de reprendre un cycle de préparation plus familier à compter du second
trimestre 2021.
VIII– Conclusion
Je laisserai la parole à Stéphane Diagana, ancien champion du monde du 400m haies sur
France info, le 1/04/2020.
« Tout d’abord, il est essentiel de rappeler que si le confinement a certes un impact sur la
condition physique du sportif (…), il a au moins autant que pour tout un chacun, un impact
négatif sur la condition psychologique du sportif. En effet, même dans le cas des sports « dits
individuels », l’athlète évolue le plus souvent dans sa pratique au sein d’un groupe, qui
constitue un puissant moteur de motivation.
Dans ces conditions, seuls les sportifs les plus autodéterminés seront à même d’entretenir
dans la durée, une pratique régulière et adaptée, à même de limiter les effets négatifs du
confinement sur leur condition physique. Ceux-ci seront ainsi les plus à même, tant sur le
plan physique que mental, de vite retrouver le chemin de la performance à la sortie du
confinement. La qualité de l'accompagnement à distance et le soutien des entraîneurs, des
partenaires d’entraînement …/… constitueront également des atouts majeurs dans ce sens. »
Christian Rebollo