Introduction
Nous avons tous une façon différente de courir. Notre foulée nous est propre et nous l’oublions en courant. Pourtant, elle est l’une des clés essentielles de notre progression.
Pourquoi ? Parce que c’est le moteur qui permet de restituer l’énergie que nous dépensons à propulser notre corps en avant à chaque pas. Lui porter attention nous permet d’optimiser cette énergie et en conséquence d’améliorer nos performances.
La difficulté tient aux controverses concernant ce sujet. Les échanges avec les entraîneurs et la lecture des publications révèlent des analyses et des recommandations bien différentes et quelquefois
contradictoires.
Controverse *
– Mon objectif n’est pas de me « déresponsabiliser », de dire qu’on peut courir n’importe comment, mais je pense que c’est très difficile de « corriger » une technique de course.
– Les bons coureurs ont une foulée esthétique.
– Une technique de course qui est jolie esthétiquement n’est pas toujours signe que le coureur pourra éviter les blessures et courra plus rapidement.
– On devrait laisser les personnes libres de courir comme elles le désirent.
– La seule façon d’être performant, c’est d’utiliser une technique très spécifique.
– Il existe des études qui ont prouvé qu’à moins de 14km/h, l’attaque du talon (sans blocage) était plus économique que l’attaque mid foot.
– Le problème lors de l’attaque du pied par le talon est qu’il n’y a aucun amorti du choc. Ce choc est amplifié par le verrouillage des articulations, la jambe se retrouvant tendue lors du contact
avec le sol.
– Modifier sa foulée consciemment pour améliorer ses performances est-il conseillé ? Si on regarde les études scientifiques, ce n’est pas convaincant.
– Plusieurs études ont été réalisées sur des personnes habituées à une attaque talon. Changer volontairement pour une foulée médio-pied n’a pas montré une amélioration des performances.
– De nombreux entraineurs qui disent que “la foulée s’améliore naturellement à force de courir” et donc qu’il faut simplement courir plus souvent pour améliorer sa foulée.
– Les résultats des études sur les bénéfices de courir avec des chaussures minimalistes ou pieds nus sont controversés.
– etc.
* Tous ces extraits proviennent de diverses publications accessibles sur Internet
Remarque :
A noter un grand nombre d’expression pour définir l’accroche du pied située entre le talon et l’avant du pied : mid foot, le plat du pied, le milieu du pied, la plante des pieds, la foulée medio-pied, etc. Dans cette contribution, j’ai retenu cette dernière expression (qui est celle des chercheurs) : « la foulée medio-pied » car en réalité, au regard de la courbure de la plante des pieds, il n’y a que deux
positions possibles pour toucher le sol : le talon ou l’avant du pied. Le milieu du pied est donc une zone qui s’apparente à l’avant du pied… Cependant, pour la différentier de l’accroche dans la zone de l’orteil, l’expression medio-pied me semble préférable (à celle de milieu du pied) car elle définit une large zone médiane située entre l’avant et l’arrière.
Faits objectifs :
Dans ce « magma » de commentaires, peut-on extraire au moins quelques éléments objectifs ?
La marche
L’attaque talon est le propre de la marche. Lorsque l’on marche (sur du plat jambes tendues), notre pied aborde le sol en premier par le talon qui constitue un coussinet graisseux amortissant cette attaque au sol. Ensuite, le pied vient se dérouler d’arrière en avant jusqu’aux orteils qui vont ensuite commencer à le propulser vers l’avant pour avancer. A ce moment, le talon quitte le sol et le retouche en premier, bien en avant du bassin, sur le prochain cycle. Elle permet d’amortir le choc au sol et le poids du corps, afin de ne pas causer de traumatismes. L’homme est donc fait pour marcher de cette manière.
Attaque talon en courant
Lorsque le pied arrive au sol avec le talon en premier, l’impact est principalement absorbé par le coussin de la chaussure, le genou, la hanche et le bas du dos.
Attaque medio-pied ou sur l’avant-pied en courant
Lorsque le pied arrive au sol, une partie de l’impact est absorbé par le pied, le tendon d’Achille et le mollet, en plus de la chaussure, du genou, de la hanche et du bas du dos.
Quels pourcentages ?
60% des athlètes de haut niveau (même de niveau international) ont une attaque première du talon. L’observation des 10 premiers dans des 10 km aboutit au constat suivant (en moyenne) : 50 %
d’attaque medio-pied et 50 % d’attaque par le talon. Plus de 80% des coureurs pieds nus n’attaquent pas du talon…
Quelles foulées économiques ?
Dans une étude datée de mi-2013 au titre très évocateur : « Rearfoot striking runners are more economical than midfoot strikers » et récemment publiée sur le site Medecine and Science in Sports
and Exercise, trois scientifiques de l’Université de Léon (Espagne), Ogueta-Alday A, Rodríguez- Marroyo JA, García-López J., ont montré qu’à faibles vitesses (11 et 13 km/h), attaquer du talon serait
plus « économique » que courir avec une foulée médio-pied. Ce n’est plus le cas à 15 km/h.
Constat personnel d’entraîneur
Je constate que cette problématique est apparue dans les années 1980 avec la création et la généralisation des chaussures à fort amorti (à l’époque, seul critère valorisé). Or nombre d’athlètes
ont pris des mauvaises habitudes avec ce type de chaussure qui ont influencé directement leur biomécanique. Ils s’entraînent majoritairement avec des chaussures absorbantes à gros différentiel avant-arrière pied. Leur apprentissage biomécanique entre en contradiction avec leur biomécanique de performance. C’est un peu comme si un champion de formule 1 commençait son apprentissage
avec une routière pourvue de gros amortis.
D’ailleurs, j’ai lu que si les jeunes coureurs couraient, dès le départ pieds nus, de temps en temps et si leurs chaussures de compétition avaient « zéro différentiel avant-arrière pied », on verrait des
biomécaniques grandement différentes et une amélioration des performances pour la grande majorité…
Mais il faut être objectif, si Abebe Bekila s’entrainait pied nu dans la région Oromia en Ethiopie, c’était sur un terrain (relativement) homogène. L’homme de la cité est, lui, confronté aux bitumes, sentiers de terre, ornières et pavés sans compter tout un tas de petits déchets : vis, boulons, débris de verres…
Dans les quartiers, les sols ne sont pas adaptés à la course à pied et la chaussure de sport est censée nous protéger de sa dureté et de son hétérogénéité. Les fabricants ont saisi l’opportunité et
basent leur business sur la promotion de l’amorti de leurs chaussures. Ce qui est dommageable, c’est que dans leurs publicités, les grandes marques de sport nous ont vendu depuis une
trentaine d’années l’appui talon pour justifier l’utilité de leur chaussure. Sur un autre plan, la simple opposition « attaque medio-pied » et « attaque par le talon » n’a pas de
sens. J’ai constaté par exemple que l’expression « coureur attaquant du talon » recouvre des réalités et des impacts pour la santé et les performances bien différents : bons résultats sans blessures dans des cas – contre-performances et blessures directes ou indirectes dans d’autres.
L’aspect qui me semble le plus significatif, c’est que la majorité des athlètes de bon niveau ont une attaque talon que l’on appelle « attaque talon proprioceptive » (le pied s’aplatit par un déroulé en douceur aussitôt qu’il touche le sol). Ce qui intéressant à ce niveau, c’est que l’accroche n’engendre pas une grande force d’impact et par conséquent une grosse phase de freinage.
Quant à la pratique sur l’avant-pied, l’impact est réparti sur une articulation supplémentaire, celle de la cheville. Cela amène une sollicitation importante de cette articulation, mais diminue celles du genou et de la hanche.
En outre, ceux qui ont une attaque medio-pied ou sur l’avant pied ont un temps de contact au sol plus court mais cela n’est établi que pour les coureurs assez rapides.
J’ai constaté aussi que, généralement, plus les athlètes entraînés sont « lents », plus ils attaquent du talon, et plus cette attaque talon est importante et bruyante. A l’inverse, il y a une question de posture qui rentre en jeu, car une attaque talon peut être performante si le tibia est vertical, le genou plié et la mise en charge est juste en avant du centre de gravité. L’analyse biomécanique se doit donc d’être globale (verticalité du tibia, angle du genou, etc.)
Première conclusion
Il n’y a pas de foulée idéale en course à pied.
Il existe autant de manières de courir que de coureurs, par conséquent impossible de décrire la meilleure façon de procéder… Notre foulée dépend de multiples facteurs comme notre poids, notre
posture, notre morphologie, notre taille, notre expérience… Et nous ne courons pas de la même façon selon le type de course et la distance parcourue : inutile de comparer la foulée d’un sprinteur à celle d’un traileur !
L’accroche de pied par le talon est très majoritairement présente chez les coureurs de fond. Elle est réellement dommageable dans deux cas.
– une accroche par le talon avec les jambes raides qui engendre une onde de choc très importante à travers le corps.
– taper du pied, ce qui signifie souvent écraser son pied dès son accroche au sol, sans le dérouler.
Si l’on veut progresser, il est préférable :
– d’optimiser l’attaque par le milieu du pied ou l’avant du pied.
– si on souhaite garder l’accroche par le talon, développer l’attaque proprioceptive
Remarque : la comparaison du taux de blessures en fonction du type de pose du pied au sol semble démontrer que les coureurs qui attaquent le sol par le talon présentent 2 fois plus de blessures de
types répétitives que les coureurs ayant une pose d’appui par l’avant du pied.
Recommandations
Dans quels cas, ne rien changer ?
Si l’on est un joggeur récréatif sans objectif compétition, autant ne pas changer sa foulée, sous les deux réserves précitées (dans le précèdent chapitre).
Pour les coureurs d’expérience, adeptes de compétitions et qui ont une attaque talon assez limitée, il n’est pas (non plus) nécessaire de changer. Comme l’a écrit un entraîneur, il ne faut pas vouer un
culte à la foulée médio-pied.
Si l’attaque talon n’est pas problématique (pas de douleurs / blessures aux zones indiquées), chercher à tout prix une foulée médio-pied n’est peut-être pas une bonne chose ! Combattre son attaque talon peut générer plus de trouble que de bénéfices. Dans ce cas, peut-être que la solution est simplement de travailler sa technique au quotidien. Essayer d’avoir un impact positif sur sa foulée sans faire de changement (Niko, de Running Addict).
Changer ! (action proprioceptive)
S’ils veulent progresser, ceux qui ont un appui talon trop prononcé ont intérêt d’adopter une foulée proprioceptive et d’appliquer, en particulier, les recommandations de Valentin Peck (diplômé du
secteur de la remise en forme – STAPS)
1) L’appui en plante de pied
Si on veut être plus performant il est nécessaire de remplacer l’appui talon par un appui en plante de pied. Avec l’appui en plante de pied vous oubliez le talon ! En effet il faut utiliser les 2/3 avant du pied pour amortir l’impact de la foulée. Il n’est donc pas nécessaire de courir sur la pointe des pieds, il faut simplement avoir l’intention d’amortir en premier lieu avec l’avant du pied (et non pas avec le talon).
Le talon vient toucher très légèrement le sol dans un second temps, ce contact est très subtil et peut devenir facultatif quand on est à l’aise et non épuisé. C’est comme de courir en suspension, ce type d’appui extrêmement efficace est utilisé par les sprinters ! L’appui en plante de pied est intéressant car il sollicite l’ensemble du système musculo- squelettique de manière très dynamique.
Cette technique a un grand avantage Il permet d’utiliser un amortisseur naturel : le tendon d’Achille. Le tendon d’Achille est le plus volumineux et le plus long tendon du corps humain, il fait la jonction entre votre talon et votre mollet. Ce tendon est sollicité lorsque l’on décolle les talons du sol, c’est aussi le principal amortisseur lors d’une course en plante de pied. Il nous permet aussi
d’emmagasiner de l’énergie lors du poser du pied pour ensuite la restituer lors de la propulsion. Cela nous permet d’économiser 50 % de coût métabolique lorsque nous courons et soulage grandement les articulations !
2) Élever son centre de gravité
En voulant progresser, j’ai constaté que les coureurs d’expérience ont tendance à gagner en profondeur de foulée au détriment de la hauteur du centre de gravité. Cela a tendance bloquer l’amplitude de la foulée et d’aggraver le processus d’écrasement de la plante des pieds. Il est donc important, par une série d’exercices à l’entraînement, de travailler cette élévation du centre de gravité puis, lors des séries, de réduire l’oscillation, sans pour autant se tasser à l’impact.
Cette pratique permet de gagner en légèreté et en fluidité ce qui réduit d’autant le choc de la réception et des tensions dans les pieds.
3) La progressivité de la démarche
La transition d’un type de pose d’un pied à l’autre doit se faire très progressivement. Le changement de pose d’appui va entraîner une mobilisation différente des muscles. La pose de pied par l’avant du pied sollicite davantage la partie médiane et le haut du mollet car ce sont les muscles de la jambe qui permettent l’essentiel de l’amorti.
Pour éviter les tendinites à ce niveau, il faut changer de style de course de manière progressive afin d’habituer toute l’architecture musculaire à une sollicitation différente. Personnellement, je recommande :
Dans un premier temps (deux mois) :
1) D’utiliser une paire de chaussure avec un drop moins important.
2) Pour renforcer les muscles de la jambe, lors des séances de préparation physique, réserver du temps à des séance de type skipping ou avec la corde à sauter.
3) Renforcer les exercices de gainage.
4) Effectuer des exercices de déroulé de pieds en marchant puis en courant lentement en se concentrant sur les groupes musculaires (des pieds) qui sont sollicités.
5) Commencer l’entrainement sur piste par la démarche proprioceptive uniquement dans le lancement des séries sur quelques mètres.
6) Parallèlement, lancer la même pratique en séance de fartlek sur terrain meuble sur quelques dizaines de mètres au début
7) Effectuer des exercices de course en montée. L’inclinaison du terrain permet de travailler naturellement le renforcement de l’attaque par l’avant et renforce, de fait, l’appui de la zone médiane.
8) Dans les premiers mois, de pas augmenter la profondeur de la foulée simultanément à l’adoption de la démarche proprioceptive.
Dans un second temps (jusqu’à un ou deux ans)
1) Augmenter graduellement le volume de cette pratique. Commencer par les séances de VMA : 50 m, puis 100 m, puis 200 m, etc.
2) Diversifier cette pratique sur des sols et des dénivelés différents.
3) Passer par une étape « série de petits trails » pour vérifier que vous avez passé la phase de transition.
4) Passer enfin sur les sorties longues et les épreuves de longues durées.
Remarques finales
1) L’adaptation du corps (attaque talon proprioceptive) se fait en plusieurs mois ou années, selon notre âge, poids, entraînement, fréquence et capacité d’adaptation.
2) Si vous souhaitez adopter cette foulée, attention à ne pas faire « machine arrière » pour chercher à retrouver la foulée initiale, vous vous blesseriez.
3) Dans certains cas, quand on a les pieds plats par exemple, il est possible de faire coexister les plusieurs pratiques lors d’une épreuve : attaque par l’avant dans les montées, attaque medio-pied sur
le plat et “attaque talon proprioceptive” dans les descentes.
Christian Rebollo