Un corps parfait pour l’athlétisme ?

Un corps parfait pour l’athlétisme ?

Lors d’un échange avec une jeune athlète qui entrait pour la première fois en club d’athlétisme, elle me dit : « Avec moi, vous allez avoir du mal car je suis loin d’avoir un corps parfait pour l’athlétisme ! ».
Je la rassurai car il ne faut pas avoir une longue expérience d’entraîneur pour constater à terme que tout athlète peut devenir performant, au moins sur un type de distance donné, avec un entraînement suffisant.
Seulement, cette notion de corps parfait m’a fait méditer car elle mérite des développements bien différents sur l’approche qu’on peut avoir de cette question.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite à m’accompagner dans cette méditation.

 

Définition

 

Si on s’en tient à la définition de l’adjectif « parfait », les choses sont assez simples. Un corps parfait est un corps sans défaut.
Qu’est qu’un défaut ?
C’est là que les choses se compliquent. Un cristal artificiel peut être pur et sans défaut car le paramètre considéré est unique et objectif.
Un corps humain est une somme infinie de paramètres qui ne peuvent être tous parfaits pris séparément. Certains sont porteurs de dimensions subjectives ou relatives.
On pourrait répliquer que l’objet de cette tribune concerne un corps parfait « pour l’athlétisme ».
Soit, commençons par l’étude d’un cas de référence, celui de Usein Blot pour en tirer des enseignements.

 

Le cas Usain Bolt

 

Il a surpassé tous ces compétiteurs par un physique hors norme : grand, épaules larges, abdos secs et saillants, corps élancé et longues jambes musclées.
Est-ce que ces caractéristiques définissent le standard absolu de corps parfait pour l’athlétisme ?
Non, car ce n’est pas l’archétype du sprinter de haut niveau. Usain Bolt redéfinit par ce physique hors norme les nouvelles règles du sprint avec une morphologie plus fine et une taille plus grande que ses concurrents (taille : 1,96 m – 88/95 kg – IMC : 22,9).
Pour les spécialistes, Usain Bolt est « Ecto endomorphe » par nature et il bénéficie des qualités génétiques d’un « easy gainer » (il prend facilement de la masse musculaire).
Première remarque : un standard de « corps parfait » évolue au fils des décennies pour toute discipline.
Regardez d’anciennes photos de champions du monde de vitesse des années 1930, ils sont loin de ressembler à Usain Blot.

 

Un physique parfaitement adapté fait-il à lui seul un champion ?

 

1 Le mental
Tout compétiteur amateur ou professionnel sait bien que le mental et de nombreux aspects psychologiques font la différence en compétition.
Pour n’en citer que quelques-uns :
• La concentration : pouvoir se concentrer, ne pas se laisser distraire par des facteurs extérieurs,
• Des bons réflexes, rapides, efficaces et précis : savoir prendre de bonnes décisions très vite,
• Le goût de l’effort,
• La volonté de gagner, l’esprit de compétition…,
• Le sens tactique de l’épreuve : il est essentiel dans le demi-fond.

2 Le travail
Un corps de champion se façonne avec des années et des heures d’entraînement journalier. Pour les plus performants, cela représente beaucoup de souffrances et de sacrifices.
Cela signifie qu’on ne nait pas avec un corps « parfait ». On se forge un corps pour un objectif sportif.

3 Autres facteurs
Le succès d’une épreuve est lié à de nombreux autres facteurs :
• La forme physique,
• L’absence de blessure,
• La chance.
• Etc.

 

Y a-t-il un « physique parfait » pour chaque distance ?

 

Finalement, n’est-ce pas la nature du sport qui sculpte le physique d’un athlète ? Ce qui paraît évident dans l’haltérophilie et le saut en hauteur.
Il est clair que certaines disciplines dessinent des morphotypes assez proches. Mais c’est loin d’être le cas dans la majorité des disciplines.
Prenons l’athlétisme ! Si on retrouve nombre de paramètres physiques communs pour les 100 et 200 m, ce n’est déjà plus le cas pour le 800 m. Pourquoi ?
Cette épreuve demande en effet un effort aux limites du sprint et aux portes du demi-fond.
Sylvain Bazin, de Running conseil, écrit (en août 2017) : « Souvent spectaculaire, plein de rebondissements et luttes, le 800 mètres est sans doute une des disciplines les plus difficiles à maîtriser. Il faut courir vite, c’est sûr, mais tenir une vitesse très élevée sur deux tours de piste reste compliqué. L’acide lactique produit par cet effort très anaérobie rend souvent les fins de course très difficiles. Il faut équilibrer sa course dans une répartition d’effort qui ne peut être linéaire. Ceux qui résistent le mieux à la déperdition de vitesse des derniers 200 mètres seront sans doute les meilleurs, à condition qu’ils n’attendent pas trop non plus pour produire leur attaque. L’idée est en effet de résister le plus possible à la déperdition de vitesse : en général, sur un 800 m, le premier tour se court 2 secondes en moyenne plus vite que le second et les 200 premiers mètres restent les plus rapides ».
Conclusion : on retrouve déjà sur cette distance des profils variés.

C’est aussi le cas dans les épreuves de distances moyennes dans le hors stade comme les semi et les moyens trails où on voit s’affronter des athlètes spécialistes du 10 km aussi bien que des trailers de grand fond qui cherchent à retrouver de la vitesse.
Là encore les profils physiques peuvent être bien différents.

 

« Tous ces défauts qui sont autant de chance » (Jean-Jacques Goldman)

 

Cela pourrait paraître paradoxale mais « être porteur de défauts » peut devenir vecteur de succès.
Dans le monde du handisport, Philippe Ribière, grimpeur professionnel, est une véritable légende. Si ses exploits forcent indéniablement le respect, c’est sa force de caractère et son mental hors norme qui impressionnent le plus. Une sacrée leçon de vie.
Il a déclaré récemment : « Mon handicap est mon outil de travail et c’est surtout la meilleure chose que Mère Nature ait pu me confier. On a tous un corps parfait et on veut toujours quelque chose de meilleur. Moi aussi je voulais être Brad Pitt, j’suis Philippe ! ».

Quittons le domaine du handicap proprement dit pour aborder celui des particularités physiques qui nous concernent directement tous dans l’athlétisme.
Certaines particularités peuvent avoir des conséquences inattendues.
Voici quelques exemples :
• Un athlète qui a des petites jambes par rapport à son corps. C’est évidemment un « handicap » pour le sprint où l’amplitude de la foulée est portée par un centre de gravité haut. Mais ce n’est pas le cas pour un trailer en descente où le centre de gravité bas est un grand avantage en particulier dans les zones chaotiques et instables.
• Certains athlètes très petits ont été champions sur un 60 m, battant ainsi des athlètes d’une taille supérieure de 40 cm.

En outre, et c’est un paramètre, si je ne m’abuse, qui n’est pas traité : certaines déformations physiques congénitales sont totalement intégrées et compensées dans le corps. Ce qui est un désavantage pour la plupart peut devenir un atout pour certain car cela permet d’autres sollicitations musculaires favorisant une dynamique de foulée efficace.

Enfin, certaines foulées peuvent largement s’écarter des « modèles standards ». Un journaliste a écrit sur la foulée de Zatopek : « En course, il a toujours l’air torturé, grimaçant, les veines du cou gonflées de sang, la langue sortie de la bouche, le visage crispé et une foulée assez laide rythmée par cet acharnement caractéristique qui lui vaut son surnom de locomotive ». Zatopek a été 18 fois champion du monde…

 

Comment améliorer son physique ?

 

1 Les facteurs génétiques
Il est prouvé que des caractéristiques génétiques donnent des avantages certains sur la performance physique.
Encore faut-il préciser le cadre et les limites de leur expression (sans rentrer ici dans le détail).
Des variations dans un certain nombre de gènes et leurs associations à des paramètres de performance ont ainsi déjà été explorées.
Relevons qu’il ne s’agit pas de gènes « globaux » de performance mais de gènes bien spécifiques d’un organe. Par exemple, Ariane Giacobino Médecin généticienne fait référence aux gènes suivant dans un article : « les gènes COL5A1-COL1A1 (fonction des tendons), ACE, IGF-1 (performance musculaire) et les recherches se poursuivent, sur des gènes liés à la force musculaire, aux fonctions pulmonaires, facteurs métaboliques, facteurs anatomiques et même aux facteurs psychologiques favorables (gènes 5HTT, BDNF) ».
Ainsi les performances sportives sont liées à des effets cumulés de petites variations dans de nombreux gènes : on parle d’une détermination polygénique.
A l’heure actuelle, plus de 200 variations dans les gènes et régions génomiques ont été associées à différents paramètres de performance physique.
A noter pour les coureurs de fond qu’une vingtaine d’entre eux favorisent les capacités d’endurance comme PPAR-delta, VEGF et ADRB2.
Et n’oublions pas, enfin, que les paramètres physiques : poids, taille, longueur relative des jambes, etc. sont déjà le résultat de composantes génétiques.

2 Les facteurs artificiels (sport spectacle et produits miracles)
Le sport-spectacle attire des foules toujours plus nombreuses, toujours plus exigeantes, des journalistes sportifs aux actionnaires, de certaines fédérations aux simples spectateurs et athlètes amateurs.
C’est dans ce contexte que des chercheurs financés par de grands groupes financiers ou des startups étudient le corps et le cerveau de sportifs de haut niveau, dans l’espoir de trouver leurs secrets et d’améliorer leurs résultats.
Alors que l’entraînement intensif et l’optimisation du corps des sportifs montrent leurs limites (en athlétisme notamment, les records sont de plus en plus difficiles à battre. Certains sont intouchés depuis vingt ans) certains imaginent mettre le rêve de la performance ultime à portée de clic.
A une échelle plus individuelle, nous recevons des sollicitations multiples pour nous vendre un « corps parfait ». Avec des slogans sur des approches « révolutionnaires » : « Mon corps flasque s’est sculpté un physique d’athlète en 84 jours » ou bien avec ce régime protéique, « J’ai obtenu un corps en or en 4 semaines… ».
Tout le monde comprend les ressorts de cette quête effrénée de l’optimisation, corps et âme, des sportifs : l’argent ! Pas la peine d’en rajouter !
Leurs auteurs seront-ils condamnés un jour pour les dégâts physiques et psychologiques qu’ils engendrent directement ou beaucoup plus tard sur leurs cobayes ?

3 Les bénéfices irremplaçables de l’entraînement
L’entraînement est un processus systématique dans lequel l’athlète améliore sa forme physique pour répondre aux exigences de sa pratique sportive. C’est un processus à long terme qui est progressif et qui correspond au niveau individuel de l’athlète.
Il faut globalement trois ans pour transformer un corps de sédentaire en corps de sportif sachant que les processus de transformation de chaque constituant physique (les poumons, les muscles, le système ligament tendineux, le système artériel et vasculaire) ne s’exercent pas du tout à la même vitesse.
En termes d’aspect physique, le corps est transformé car le sport stimule, en particulier, les lipoprotéines de haute densité (HDL) et diminue le niveau de triglycérides, constituant principal des graisses.
Cela étant, comme tout le monde le sait : « on ne perd pas toujours où on voudrait ».
Chercher à obtenir un corps bien dessiné répond à d’autres logiques d’entraînement comme le culturisme.

 

Conclusion

 

La notion de « corps parfait » pour l’athlétisme est un contre-sens ou une illusion.
Une posture, une allure et la gestion tactique d’une épreuve peuvent être parfaites.
Elles ne sont pas le produit d’un état physique figé et « idéal » mais la résultante de qualités intrinsèques physiques et mentales et d’un énorme travail d’entraînement et d’affutage.
Au terme d’une préparation, je substituerai au qualificatif de « parfait », celui de « complet » pour un objectif donné.

Christian Rebollo

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