Courir en cycle avant ou en cycle arrière ?

Courir en cycle avant ou en cycle arrière ?

Comme vous le savez, la course à pied, c’est une multitude de disciplines aussi variées les unes que les autres. Certains optent pour le sprint, le demi-fond, le fond ou le marathon. D’autres préfèreront le trail, la course en montagne, la course de relais, etc.
Il existe de nombreuses manières de courir pour s’adapter aux différents profils de terrains ou de compétitions. Au sein de cette variété de styles, les techniciens s’accordent à reconnaître deux grandes catégories de foulées : la foulée en cycle avant et la foulée en cycle arrière. De quoi parlent- ils ?
Les schémas et données de référence des chapitres III et IV sont extraites de deux publications : La meilleure façon de courir – Sport et Vie n°29 et Biomécanique niveau expert : la foulée.

 

Un peu d’histoire

 

Jusque dans les années 1960, on pensait que la puissance musculaire était le moteur principal de la vitesse et cette puissance était portée par les quadriceps.
Seulement, dans les années 70, les découvertes en physiologie du sport permettent de « différencier l’énergie qui provient de la transformation des aliments et permet la contraction du muscle, de celle qui résulte d’un simple phénomène de stockage-restitution lié au fait que le coureur est en mouvement. Or, cette seconde source d’énergie représente la majeure partie de l’énergie du mouvement (jusqu’à 60%) ». *
Au sprint, tout n’est pas une affaire de puissance mais plutôt une affaire de ressort.
Dès lors on comprend que la vitesse à laquelle un athlète se déplace dépend de la qualité de ses appuis au sol et on insiste désormais sur la montée du genou vers l’avant et le griffé du pied sur le sol.
C’est la naissance officielle du « cycle avant ».
* hys H, Faraggiana T, Margaria R. Utilization of muscle elasticity in exercise. J Appl Physiol. 1972;32:491-494.

 

Définition

 

Commençons par différencier le « cycle avant » et le « cycle arrière ».

En cycle arrière :
Le pied entre en contact avec le sol souvent en talon. Il a un mouvement d’arrière en avant et de haut en bas. Le pied vient se « planter » dans le sol.
Le pied du coureur « arrière » fait de même.
Le membre inférieur est fléchi.
Le bassin est en antéversion c’est à dire que le haut du bassin basculé en avant, le bas du bassin fuit vers l’arrière.
En cycle avant :
Le pied entre en contact avec le sol en plante. Il a un mouvement d’avant vers l’arrière (griffé).
Le membre inférieur est tendu.
Le bassin est haut et placé.

En cycle arrière :
Le pied s’aplatit au sol. L’angle pied-tibia se ferme. Le pied est passif.
Le membre porteur est en flexion. L’angle cuisse jambe se ferme. L’athlète a tendance à s’affaisser. Il ne résiste pas à la défor-mation. Le membre libre est en arrière du membre porteur.
La fuite en arrière du bassin s’accentue. Le bassin est en antéversion.
En cycle avant :
Le pied est en appui sur la plante.
Le membre porteur est en légère flexion. Il est solide, résiste à la force d’impact. Les articulations sont « bloquées » par la contraction musculaire.
La cuisse du membre libre est en avant du membre porteur.
Le bassin est haut et placé.

En cycle arrière :
La poussée est complète. L’angle entre le segment inférieur et le sol est réduit, ce qui signifie que le membre inférieur est penché en avant comme l’est la face avant du bassin. Le membre libre n’a pas encore atteint son niveau le plus haut.
En cycle avant :
La poussée est moins nette, la jambe peut ne pas être complètement dans le prolongement de la cuisse. Le membre libre est prêt à engager son mouvement de retour vers le sol.

En cycle arrière :
Première phase : la jambe remonte, la cuisse s’élève vers l’arrière, la cuisse s’engage rapidement vers l’avant.
Deuxième phase : le retour vers l’avant.
Le secteur balayé d’arrière en avant par le genou est réparti également de part et d’autre d’un axe vertical passant par le bassin.
En cycle avant :
Première phase : la cuisse s’engage rapidement vers l’avant.
Deuxième phase : le secteur balayé est situé très avant. En d’autres termes, le segment libre revient plus et plus vite vers l’avant.

 

Quelques remarques sur les deux cycles

 

Caractéristiques du cycle arrière

Le coureur ne court généralement pas droit, il est plutôt penché en avant.
Les jambes remontent loin derrière lui (dans un passage dans la boue, un coureur en cycle arrière salit plus son T-shirt qu’un coureur en cycle avant).
Le travail de quadriceps est essentiel.
Avec de l’entraînement, l’avantage du cycle arrière est que le coureur semble dérouler sa foulée de manière économique.
Le corps de masse bouge peu.
Le principal défaut de cette foulée tient à la position du buste penché en avant. En effet, dans cette posture, la projection au sol du centre de gravité du coureur tombe en avant du point d’appui, ce qui engendrerait des contractions musculaires supplémentaires (quadriceps, dorsaux), pour maintenir l’équilibre.

Caractéristiques du cycle avant

En cycle avant, la trajectoire aérienne des jambes est répartie entre l’avant et l’arrière du coureur.
Le pied ne pique pas mais longe le sol.
La posture du coureur est droite.
Pour que la foulée soit efficace cela signifie que la déformation de la jambe d’appui au niveau des articulations (cheville, genou, hanche) doit être minimale.
On comprend ainsi que le gainage devient un point majeur dans l’optimisation de la foulée car les abdos et dorsaux « en béton » vont permettre de renforcer la solidarité « bassin-tronc » notamment par une tonicité qui maintiendra un alignement des vertèbres lombaires.

 

Position d’un entraîneur de hors stade

 

Remarquons que si les foulées en cycle avaient été analysées par des entraineurs comme Jacques Piasenta et de nombreux spécialistes pour optimiser les résultats sur le sprint (et le demi-fond de manière générale) afin de contribuer à l’amélioration des performances en championnat, cela concernait une dualité assez claire entre deux modes : « cycles avant » ou « cycle arrière ».
Un entraineur hors stade est lui confronté à de nombreuses variantes de foulées qui correspondent, au demeurant, à des parcours, des physiques et des âges bien différents.
Or je n’ai pas trouvé d’études sérieuses et complètes qui traitent de cette diversité.

Mon regard d’entraineur sur le profil de centaines d’athlètes de toutes catégories que j’aurai entraînés m’aura permis néanmoins de faire un certain nombre d’observations :

– Le physique d’un individu (architecture osseuse, musculaire, posture, taille, etc.) conditionne pour une bonne part la foulée d’un athlète et il est très difficile (mais pas impossible) de la changer.
– L’écrasante majorité des coureurs de fond courent en cycle arrière avec une grande variante de postures.
– Tous les athlètes qui présentent un bassin antéversé courent spontanément en cycle arrière.
– Les coureurs courant naturellement en « cycle avant » sont meilleurs sur les distances courtes, voire moyennes.
– Les coureurs courant naturellement en « cycle arrière » sont meilleurs sur les distances longues, voire moyennes.
– Courir en « cycle avant » n’est pas un gage d’efficacité si le mouvement n’est pas exécuté avec tous ses paramètres d’accompagnement : tronc redressé, placement et gainage du bassin, pied actif, etc.
– Courir en « cycle avant » nécessite une vitesse minimum assez élevée qui permet d’appliquer le griffé lors de la prise de contact avec le sol.
– La foulée en « cycle avant » est très énergivore. A l’inverse la foulée rasante des « centbornards », variante de la foulée en « cycle arrière », est très économique.

 

Recommandation d’entraîneur (question / réponse)

 

1) Faut-il absolument rester dans son cycle « naturel » ?
Non !
Mais il faut savoir que le passage d’un cycle à l’autre nécessite un long apprentissage et de la patience. Il faut environ un an pour permettre l’adaptation de l’architecture musculo/tendino/osseuse. Toute précipitation ne peut qu’engendrer des blessures.
Et le succès n’est pas assuré car les douleurs du mollet ou de la voûte plantaire peuvent être insurmontables (dans le passage cycle arrière/cycle avant).

2) Peut-on recommander de changer de cycle ?
Oui !
Il peut être préférable de changer de type de foulée en cas de pathologie. Ainsi des problèmes lombaires, une chondropathie du genou, une lésion de la sous-talienne s’accommoderont davantage d’une foulée en cycle avant.
A l’inverse, dans la foulée antérieure on retrouvera plus de lésions de surcharge du médio-pied (fracture de fatigue des cunéiformes et métatarsiens) et beaucoup plus de pathologies du tendon d’Achille.

3) Peut-on appliquer plusieurs cycles différents ?
Oui !
Un athlète peut travailler ses séances anaérobies ou de VMA sur piste en cycle avant, et effectuer ses séances de VMA longue et de compétition en cycle arrière.
Cette capacité devient un atout important en cross ou en trail en phase de relance ou en accélération finale.

4) Est-ce que des paramètres externes influent sur l’efficacité des cycles ?
Oui !
Par exemple : la nature du sol. Il a ainsi été relevé que sur piste, l’éthiopien Haile Gebrselassie battait systématiquement le kényan Paul Tergat alors qu’en cross, la domination s’inversait.
Sans doute faut-il en déduire que l’élasticité de la piste favorisait la « foulée élastique » de Gebrselassie alors que le sol plus mou permettait à la puissance musculaire de Tergat de mieux s’exprimer.

 

Conclusion

 

Il n’existe pas de foulée universellement efficace pour tous et partout.
La foulée en « cycle avant » avantage (sauf exception *) les coureurs de vitesse alors que la foulée en « cycle arrière » avantage les coureurs de fond.

Mais une analyse globale de la littérature scientifique montre des résultats contradictoires quant aux relations entre la manière de courir et son efficacité. L’appui court est présenté comme plus efficace par certains auteurs (Paavolainen et al.,1999) alors que l’appui long est favorisé par d’autres (Di Michele and Merni, 2014). Enfin, certains chercheurs ne trouvent pas de relation entre l’efficacité et le temps d’appui.

Les analyses plus récentes commencent à subdiviser plus subtilement les foulées. On parle aujourd’hui de foulées :
• aérienne en fréquence ou l’élastique en pied,
• aérienne en amplitude ou l’élastique en cuisse,
• terrienne en fréquence,
• terrienne en amplitude,
• etc.

J’ai remarqué enfin que la notion « de cycle avant » était un peu idéalisée dans l’imaginaire des coureurs de fond. Or il n’y a aucune raison car de grands champions du hors stade courent en « cycle arrière ».

L’un des apports des recherches sur le « cycle avant » aura été de montrer que la course à pied est une affaire de corps, de pieds ou les quadriceps ne sont pas les seuls à travailler. Il s’agit d’être plus confortable dans la pratique et d’avoir une bonne position quand on court. Par exemple, plusieurs recommandations pour le « cycle avant » peuvent être bien utiles pour compenser en partie les défauts du « cycle arrière ». Comme le souligne Clémentine Chantrier, dans son article « Comment améliorer sa foulée de course ? », cela concerne par exemple le relâchement des épaules, sa posture moins en avant, les genoux, les chevilles, les hanches mieux alignées et les membres supérieurs bien coordonnés avec les jambes.
D’où les exercices de gamme en athlétisme qui sont là pour nous permettre d’être polyvalent et le plus efficace.

* Comme Marie-José Pérec

Christian Rebollo

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