Le métabolisme énergétique du coureur à pied

Le métabolisme énergétique du coureur à pied

Comme nous le savons tous, le corps a besoin d’énergie pour faire du sport. Mais combien d’athlètes savent réellement comment cela se passe ?
Certes, on n’est pas obligé de savoir, d’autant que de manière objective cette biologie est complexe et difficile à vulgariser. Elle l’est d’autant plus que dans le « hors stade », qui va du demi-fond à l’ultra trail, on sollicite dans des proportions variables (et de manière simultanée) différentes filières énergétiques.
Reste que la connaissance d’un minimum de principes à ce niveau éclaire et justifie certaines pratiques d’entraînement. Leur compréhension permet aussi d’éviter un certain nombre d’erreurs.
Dans cette tribune, je propose de présenter :
● l’énergie utilisée par les muscles,
● les filières énergétiques,
● le bilan des filières énergétiques
● le rapport filière anaérobie / filière aérobie en fonction de la durée de l’effort
● les enseignements utiles sur la manière de s’entrainer.
● la conclusion

1) L’énergie des muscles

L’énergie musculaire est stockée sous forme d’ATP (adénosine triphosphate). C’est l’ATP qui permet les contractions musculaires. Or les réserves d’ATP dans le corps sont très limitées.
La réaction de dégradation de l’ATP est la suivante :
ATP <–> ADP + Pi + énergie (7kcal par mole d’ATP)
C’est la rupture d’une des 3 liaisons phosphate de l’ATP qui permet de libérer de l’énergie. Pour continuer l’effort, le corps doit donc en permanence renouveler l’ATP, qui est aussitôt « consommée ».

On pourrait s’interroger : pourquoi n’avons-nous pas de grandes réserves d’ATP utilisables sur toutes distances ?
Voici une réponse rapportée par Nicolas Cherpeau (Courir plus loin) : « Prenons le cas d’un coureur de 70kg sur 10km. Il va consommer environ 700kcal, ce qui nécessite 700/7 = 100 moles d’ATP. Le problème est que l’ATP est une molécule très lourde, 507g par mole, ce qui donne environ 50kg d’ATP pour courir un 10km ! Imaginez le surplus de poids nécessaire ! Il est donc beaucoup plus
judicieux de former l’ATP selon les besoins, en travaillant à « flux tendu » pour éviter de le stocker ».
Comme nous le savons, les substrats énergétiques utilisés dans le corps humain sont les glucides, les lipides et les protéines. Ils sont utilisés en proportion différentes selon l’intensité et la durée de l’effort et il existe 3 filières énergétiques qui permettent de consommer ces substrats énergétiques pour les transformer en énergie. L’utilisation de ces filières dépend elle aussi de l’intensité et la durée de l’effort.

2) Les filières énergétiques

Il existe 3 filières énergétiques qui permettent de fournir de l’ATP aux muscles au cours d’un effort. Deux d’entre elles sont dites anaérobies car elles ne nécessitent pas d’oxygène lors de la transformation des substrats en ATP. Ces 2 filières diffèrent par la production ou non d’acide lactique, elles sont qualifiées de lactique ou alactique. La troisième filière est dite aérobie car de l’oxygène est utilisée lors de la dégradation du substrat.

La filière anaérobie alactiquee
Cette filière est ainsi qualifiée car elle ne nécessite pas d’oxygène et n’entraîne pas la production d’acide lactique. Elle utilise l’ADP formée par la dégradation de l’ATP pour re-synthétiser de l’ATP en
utilisant la phosphocréatine (PC) :
PC + ADP <–> ATP + C
La capacité de cette filière est très faible, par contre sa puissance est élevée * car la libération d’énergie est rapide : c’est la filière des efforts courts et intenses.
Lors d’un sprint de 100m, la phosphocréatine participe à environ 50% de l’apport total en ATP, l’autre moitié étant apportée par la deuxième filière.
* Cette puissance maximale est de 3-4 kW environ pour les membres inférieurs chez le sujet sédentaire et de 6-8 kW environ chez les sprinters de haut niveau.

La filière anaérobie lactiquee
Cette filière correspond à la dégradation du glucose sans utilisation d’oxygène : c’est la glycolyse anaérobie. L’avantage principal de cette filière est sa rapidité pour libérer l’énergie. La chaîne de
réactions de la glycolyse anaérobie peut être résumée ainsi (en simplifiant) :
Glucose + ADP -> Pyruvate + 2 ATP + H2O -> Lactate
Le glucose utilisé est stocké dans le muscle sous forme de glycogène, et le produit final est le lactate (ou acide lactique). Le délai de mise en route est bref, au plus quelques secondes.
La puissance maximale peut atteindre 2 à 5 kW. Elle peut être soutenue une vingtaine de secondes, couvrant de façon prépondérante, avec la première filière anaérobie alactique, les exercices maximaux d’une quarantaine de secondes.
Au-delà, la puissance n’est plus maximale, et la troisième filière aérobie prend progressivement le relais, pour devenir prépondérante au-delà de 1.5 min environ.

La filière aérobiee
Cette filière permet la synthèse d’ATP grâce à la dégradation du glucose ou des acides gras (via la bêta-oxydation puis la glycolyse). Pour le glucose, la première partie de dégradation est identique à la glycolyse anaérobie, c’est-à-dire qu’il y a formation de pyruvate à partir de glucose. Puis ce pyruvate entre dans les mitochondries, où il participe à un ensemble de réactions nécessitant l’oxygène. Cette partie aérobie de la dégradation du glucose permet de libérer 36 molécules d’ATP supplémentaires, soit 38 au total pour une molécule de glucose. On est loin des 2 ATP pour la glycolyse anaérobie ! La filière aérobie a donc une capacité bien plus grande que les deux filières anaérobies.
Voici son bilan :
Glucose + 6 O2 + 38 ADP —> 6 CO2 + 6 H20 + 38 ATP
Point important :
La filière aérobie n’est pas dépendante uniquement du glucose, car elle permet aussi de dégrader les acides gras stockés dans le tissu adipeux. Leur oxydation fournit encore plus d’énergie que celle du glucose mais consomme en revanche plus d’oxygène. Ces deux chaînes de réactions (à partir du glucose ou des acides gras) étant plus longues que celles des filières précédentes, leur délai pour fournir l’énergie est plus long d’où une puissance plus faible. Grande capacité et faible puissance : la filière aérobie est la filière de l’endurance !

 

3) Le bilan des filières énergétiques

3 – a. Paramètres généraux

3 – b. La proportion relative des 3 filières énergétiques lors d’un effort de 2 heures

Cette proportion relative des 3 filières énergétiques est résumée dans le graphique ci-dessous, appelé courbe d’Howald (1974).

Je vous présente ce schéma uniquement pour montrer le démarrage et la coexistence des trois filières.

Le gros problème de cette représentation, c’est qu’elle fait l’impasse sur ce qui se déroule en amont du schéma. En d’autres termes, on a l’impression que l’athlète passe d’un état statique (avec toutes
les filières à l’arrêt) au lancement instantané en pleine action. Or il faut savoir que la production d’ATP est permanente, de l’état de repos jusqu’à celui où l’individu est amené à réaliser des efforts très violents. Ce qui signifie que la courbe d’Hoswald aurait des cinétiques différentes si l’athlète, juste avant :
● était bien échauffé ;
● était à l’arrêt sans échauffement ;
● était bien entraîné ou totalement débutant.

4) Rapport filière anaérobie / filière aérobie en fonction de la durée de l’effort


Ref. Newhome et Coll 1992 – Pourcentage de contribution dans la production d’ATP

 

5) Quels enseignements utiles sur la manière de s’entrainer.

Chez un joggeur, nous savons maintenant que le raccourcissement des myofilaments des fibres musculaires, qui est un « glissement » des filaments d’actine entre ceux de myosine, s’accompagne
de transformation d’énergie chimique en énergies mécanique et thermique. Ce processus s’optimise lors des entraînements, mais pas de n’importe quelle manière.

a) La cohabitation des trois filières

Nous avons vu que les trois filières s’enclenchent à des périodes différentes mais non successivement comme si on passait tour à tour d’une filière à une autre. Les trois filières peuvent être utilisées en même temps mais avec des cinétiques distinctes.
Cela signifie que tout athlète hors stade qui veut progresser doit travailler les trois filières quels que soient ses choix en termes de profil des compétitions. *
La puissance et la capacité de chaque processus énergétique doivent être développées harmonieusement. Un déséquilibre entre ces 2 paramètres crée des problèmes de tous ordres (blessures, baisse de performance, fatigabilité).
* Je m’inscris en faux contre les propos tenus par certains entraîneurs ou rapportés dans certaines publications qui énoncent qu’il est inutile de travailler les filières anaérobies quand on fait du long. Naturellement ce travail doit être effectué principalement dans la période dite de « développement général », pas en fin de cycle de préparation d’un marathon.

b) Comment développer ses capacités anaérobies alactique (1 ère filière) ?

L’intensité doit être très élevée, supérieure à 90% de l’intensité maximale. Et ceci en essayant de conserver une grande aisance d’exécution. La durée de l’action doit être comprise entre 7 et 15’’.

Par exemple : effectuer 3 séries de 5 accélérations de 8’’ alternant avec des « récup » très actives de 8’’. Entre chaque série, la récup active (en réalité, poursuite du jogging à 75% de VMA) doit s’effectuer sur 5 à 8’, afin de permettre une restauration suffisante de ses ressources.

c) Comment développer ses capacités anaérobies lactiques (2 ème filière) ?

Cette pratique de vitesse est assez familière dans les clubs d’athlétisme. L’intensité de l’action doit être élevée. La durée de l’action doit être comprise entre 15 et 45″.
Remarquons que la durée minimale correspond au maximum de durée de la filière énergétique qui a précédé (alactique). On est donc sûrs que la filière anaérobie lactique a pris le relais.
Les récupérations doivent être courtes (entre de 30’’ à 2′).

d) Comment développer ses capacités aérobies (3 ème filière) ?

Comme vous le savez, la filière aérobie est la principale voie énergétique à développer lorsque l’on s’engage dans la course à pied ou que l’on souhaite améliorer ses performances, quelle que soit sa distance de prédilection. Liées aux efforts de longue durée mais à une intensité très inférieure à celles des filières anaérobies, les capacités aérobies sont améliorées par des efforts intermittents de longue et courte durée. Aucune amélioration durable du potentiel physique d’un athlète ne peut être envisagée sans le développement complet de ce processus, d’où les programmations de ces  entraînements sur de nombreuses semaines.
Quant à la puissance aérobie, 2 techniques sont possibles :
● soit recourir à la méthode des efforts continus d’une durée comprise entre 12 et 20′ (travail de 75 à 95% de VMA),
● soit recourir aux méthodes des efforts intermittents (séries de VMA) en sachant que la seconde technique s’avère plus efficace (car c’est le temps de travail total qui importe le plus et il est plus élevé dans ce second cas).

6) Conclusion

L’entraînement doit être spécifique, ainsi il sollicitera sélectivement les métabolismes les mieux adaptés pour répondre aux objectifs individuels. Cela signifie, par exemple :
● qu’il est contreproductif d’être en surrégime * dans une séance de VMA lors de la préparation d’un marathon car on optimise les filières anaérobies alors que lors d’un marathon elles ne représentent que 1 % des filières utilisées.
● à l’inverse, ne pas entretenir les filières anaérobies fait perdre à l’athlète une grande part de son potentiel de vitesse car les fibres musculaires rapides et intermédiaires, support de ces filières, peu sollicitées se transforment progressivement en fibres lentes dans un processus en grande part irréversible. Faisons une comparaison : si l’athlète était une voiture, à long terme on dirait d’elle qu’elle est devenue une « routière ».
Enfin, pour ceux qui ont des objectifs de performance, il faut savoir qu’un système ne se développe efficacement que s’il est sollicité au maximum de sa puissance et de son endurance.
« Seuls les exercices qui sollicitent fortement les réserves énergétiques et qui entraînent une fatigue aiguë permettent une amélioration du potentiel initial par des phénomènes de « surcompensation » » (Matveiv).
* au-dessus du pourcentage de VMA recommandé

Christian Rebollo

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