Comment gérer les accélérations lors d’une épreuve de compétition ?

Comment gérer les accélérations lors d’une épreuve de compétition ?

J’imagine certaines réactions à la lecture de ce titre. « Il suffit tout simplement d’accélérer, rien de plus naturel ou de plus facile… »
Voyons si c’est bien le cas dans les trois circonstances suivantes :
– Dans les premiers tiers de compétition, il est fréquent de voir des athlètes procéder à une série d’accélérations et s’écrouler dans le troisième tiers de l’épreuve (1).
– En 1952, lors des jeux Olympiques d’Helsinki, Emil Zatopek procède à 19 accélérations sur les 10 000 mètres pour lâcher Alain Mimoun. Alain Mimoun le reprend à chaque fois. Mais la dernière accélération lui sera fatale (2).
– En 2008 lors du marathon de Paris, à deux kilomètres de l’arrivée, Matha Komu mène au train devant Tola Worknech. A 600 m de l’arrivée Tola accélère pour passer devant Matha et lui prend 10 m, l’arrivée lui semblant assurée. Sauf qu’à 200 m de l’arrivée, Matha augmente son allure doucement, rattrape Tola et gagne l’épreuve à la surprise générale (3).

(1) – Que se passe-t- il dans le premier cas ?

Les athlètes « payent » des accélérations intempestives qui présentent deux désavantages :
– elles sont énergivores
– elles provoquent inconsciemment une augmentation d’allure sans respect de la VS

Pourquoi ?
Lors d’un marathon géré correctement, durant la première heure de course 50% de l’énergie environ provient des lipides (50% du glycogène). Arrivé à la fin de la deuxième heure, ce pourcentage avoisine les 70%.
En cas d’accélérations ou de vitesse excessive dans la première partie de l’épreuve, le glycogène s’épuise beaucoup plus rapidement, la transition avec l’utilisation unique des lipides est brutale. A ce moment, l’allure de course chute rapidement d’où les décrochages dans la seconde partie.
En d’autres termes, on peut comparer le coureur à une voiture. Si le conducteur passe son temps à accélérer et à freiner, la consommation de carburant sera nettement plus élevée que s’il conduit à vitesse stable et raisonnable. Sauf que si le véhicule ne consomme que de l’essence, il suffit d’en remettre plus fréquemment… Alors qu’avec un coureur, les lipides font fonction d’essence (avec une très grande réserve) alors que le glycogène, lui, ne se recharge pas (durant l’épreuve).
Conclusion, les vitesses et accélérations excessives favorisent l’utilisation des glucides aux dépens des lipides et nuisent à la performance finale des épreuves d’endurance.

(2) – Que s’était-il passé dans le second cas ?

2- a Introduction
Les relances successives s’intégraient dans un plan de gestion tactique qui s’est avéré « payant » puisqu’il a permis la victoire de Zatopek. Mais cette victoire ne se réduisait pas à une simple stratégie de gestion tactique.
Maîtriser des changements réguliers nécessite une longue préparation à l’entraînement ainsi qu’un profil d’adapté. Il existe en effet de nombreux types de profils de coureurs : les métronomes, ceux
qui mènent le train, les « relanceurs », les grimpeurs, les puncheurs, les finisseurs, les polyvalents, etc.
Si on devait simplifier les profils en deux catégories, on pourrait dire qu’il y a des coureurs :
– ceux qui stabilisent au maximum leur allure,
– ceux qui jouent volontairement du changement d’allures.

2- b Chaque catégorie présente des avantages et des inconvénients.
Courir à vitesse régulière présente l’avantage de :
– limiter la consommation du glycogène
– optimiser physiologiquement une allure donnée

Courir à vitesse régulière présente le désavantage de :
– contrer difficilement des accélérations bien placées des concurrents sportifs
– gérer plus difficilement les parcours à dénivelés et non roulants.

Courir par relances ou accélérations successives présente l’avantage de :
– de solliciter de manière plus diversifiée l’architecture musculaire et alternativement les fibres « reposées ».
– d’adopter des plans tactiques plus efficaces dans les épreuves de courtes distances et dans les compétitions relevées

Courir par relance ou accélération successive présente le désavantage de :
– épuiser plus rapidement ses réserves de glycogène
– « craquer » à l’accélération de trop ou mal placée *.

2- c Quelle préparation pour les changements de rythmes ?
D’un point de vue théorique, apprendre à gérer les accélérations nécessite :
– de développer la force de poussée
– d’augmenter la fréquence et la qualité des appuis
– maîtriser le rapport amplitude / fréquence
Au niveau musculaire, l’objectif est de stimuler les Fibres blanches (FT) à contraction rapide (type II) qui sont riches en composés phosphatiques et en glycogène, elles ont des impulsions nerveuses discontinues brèves et permettent des actions motrices maximales. Pour cela, la préparation physique doit donc être complète et l’entrainement doit intégrer les exercices suivants :
— Des séances de VMA sur des distances différentes (par exemple, du 10/10 au 1’/1’).
–Des changements d’allure (course continue ponctuée d’accélérations d’intensité modérée) ;
–Des contrastes de phase (course à allure fondamentale ponctuée d’accélérations très fortes) ;
–Séance de côtes et d’escaliers travaillée de manière variée
–Séance de fartlek
Il est profitable de pratiquer des entraînements croisés, c’est à dire d’alterner ces séances avec d’autres pratiques exercées de manière dynamique : VTT, saut à la corde, musculation, etc.

2- d Le coût énergétique d’une accélération
Le type d’accélération influence énormément son coût énergétique. En simplifiant beaucoup :
– une accélération puissante en fréquence et en amplitude est très énergivore.
– une accélération « douce » en jouant de manière alternative sur la fréquence et l’amplitude ou sur la qualité de foulée (posture, appuis, etc) est moyennement énergivore.
– une accélération sèche de quelques secondes ou lente, basée sur la qualité de foulée est peu énergivore.

(3) – Que s’était-il passé dans le troisième cas ?

3- a Introduction
Revenons sur l’événement ! Matha Komu mêne au train juste devant Tola Worknech sur plusieurs kilomètres. Tola ne prend aucun relai et Matha exprime de plus en plus de signes de souffrance. C’est sans doute ce qui rassure Tola qui décide de passer à l’attaque un peu trop tôt. Cette accélération effectuée un peu trop tôt avant la ligne d’arrivée permettra à Matha de se positionner en « chasseur ». Elle lui permettra de se ressourcer et de lancer à proximité de l’arrivée une attaque déterminante pour la victoire.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de tout ce déroulé ?

3 – b Erreur tactique
La lutte en tête impose souvent aux coureurs de prendre des risques. L’épuisement des coureurs de tête, sans prise de relai, leur est souvent fatal. Tola avait les ressources pour gagner l’épreuve si elle avait accéléré au dernier moment. Seulement elle a été influencée par l’état de fatigue apparent de Matha, ce qui était un piège. Et par excès de confiance elle a accéléré trop tôt sans garder les
ressources pour une dernière accélération.
Conclusion, il s’agit d’une erreur rédhibitoire de gestion de l’épreuve et non une limite physique à proprement parler.

3- c L’intelligence tactique
Comme nous l’avons vu, chaque athlète a des qualités différentes : un tel est fort dans les dénivelés, un autre dans les descentes, un autre dans les parties roulantes, un autre dans le finish.
L’intelligence tactique consiste à utiliser ces qualités en fonction du terrain et la distance effectuée sur l’épreuve. Par exemple, un « finisher » n’a aucun intérêt à attaquer en première partie d’une compétition.
Je laisserai le mot de la fin à Matthieu Verneret, coach sportif. La gestion des accélérations dépend de nombreux facteurs parmi lesquels :
– Le facteur physique : Il s’agit de l’utilisation des aptitudes physiologiques et musculaires au service de l’effort, qui permettent d‘optimiser l’intensité, les actions mais aussi le mental du sportif.
– Des facteurs techniques : Ils concernent la maîtrise des gestes, techniques, postures relatives à un sport. Une maîtrise technique indispensable pour le haut niveau.
– Des facteurs « technico-tactiques » : Ils traduisent l’utilisation de la technique au service d’une stratégie pour contrer un adversaire sportif.
– Le facteur mental : L’aspect psychologique de la performance est fondamental. Il constitue l’élément déterminant de la performance dans la mesure où les autres acquis (pré-cités) sont en place.

Conclusion
En compétition, la gestion des accélérations est loin d’être évidente, elle dépend non seulement de l’optimisation de son potentiel bioénergétique et neuromusculaire et de sa gestion de l’effort en compétition, mais également du profil de l’athlète et de sa stratégie de positionnement tactique durant l’épreuve.

* Par exemple, à l’arrivée d’une compétition, deux athlètes sont en tête, l’un derrière l’autre sans prise de relais. A quelques centaines de mètres de l’arrivée, le second accélère pour se porter à hauteur du premier. Dès cet instant, le premier accélère et décroche facilement son concurrent pour gagner.

Christian Rebollo

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